Entre l’homme et la pierre
Il y a quelques années, j’ai reçu une commande passionnante : photographier 20 châteaux de la Loire. Étant très attiré par les histoires de chevaliers, de donjons et autres dragons depuis bien longtemps, mon goût pour l’Histoire se porte plutôt vers la période médiévale. Je suis plus attiré par le moyen-âge que par la Renaissance, mais honnêtement, quand une telle commande se présente et que le devis est accepté, mes trois moi (moi chef d’entreprise, moi photographe et moi grand gamin) sont tous aux anges ! Et puis, comme je ne vais pas tarder à le découvrir, dans les châteaux de la Loire, le lien entre les époques est omniprésent. Toutefois, je ne suis pas là pour faire revivre nos glorieux ancêtre, la commande est très terre à terre, puisqu’il s’agit de bâtir une banque d’images pour le Comité Régional du Tourisme de la Région Centre-Val de Loire. Il n’est donc pas question de photographies mises en scène, avec scénario et figurants ; il s’agit plutôt d’un reportage documentaire. Pour autant, ce genre de travail de prise de vue peut s’avérer très intéressant artistiquement…
J’aime construire un reportage photo comme une série d’images structurée et cohérentes.
Pour moi, il n’est pas question d’arpenter les lieux et d’appuyer sur le déclencheur au fur et à mesure de que je découvre - même si cette démarche peut s’avérer très sympa en pratique et produire des photos vraiment belles, souvent surprenantes, elle comporte un écueil que je souhaite éviter : le côté décousu du résultat final dans sa globalité.
Il faut bien comprendre que chaque château est immense et représente un potentiel photographique aussi vaste que varié. Et je ne dois pas en photographier un ou deux, mais vingt. Je dois donc mettre mon petit cerveau en route pour produire des photos qui présentent une unité, un reportage pertinent, relativement complet et surtout cohérent dans son ensemble.
Pour atteindre cet objectif (oui, c’est bien pour un photographe, d’avoir des objectifs :D), je vais m’appuyer sur plusieurs éléments :
Une méthode de travail déclinable sur chaque site
Un angle d’attaque artistique
Une préparation rigoureuse
Le post-traitement
La méthode
Sur ce coup là, je vais être un peu scolaire… En appliquant la bonne vieille méthode du « général vers le particulier ». Je commence mon reportage en évoluant à bonne distance pour faire des photos du château en entier. Ensuite, au fur et à mesure que je m’approche, je réalise des vues de plus en plus serrées, photographiant certaines parties d'un château (cour, façade, colonnade, etc.), jusqu’au détail en particulier, parfois même très petit (détail de charpente, fenêtre, texture, etc.). Commencer par tourner autour du château tout en me rapprochant peu à peu me permet d’identifier les détails que je prendrai ensuite de façon très serrée. Afin d’être un peu plus efficace, je travaille avec deux boîtiers, l’un avec un objectif grand angle et l’autre avec une longue focale (200 à 300 mm).
Lorsque je suis à mi chemin je change généralement le grand angle pour un objectif standard (35 ou 50 mm) afin de réaliser une partie bien précise de la série photographique : les plans à échelle humaine. Le grand angle donne une sensation de grandeur et le téléobjectif focalise fortement sur le sujet. Entre les deux, le standard, dont le rendu s'approche de la vue humaine, permet de produire des images très réalistes ; les personnes voyant les photos, perçoivent les différents éléments tels qu’ils sont en terme d’échelle et de perspectives.
À mon humble avis, une bonne série photographique documentaire réalise un mix équilibré entre les aspect bruts / naturels et l’ambiance - qui est traduite par l’effet « spacieux » du grand angle d’une part et la focalisation sur certains éléments intéressants et/ou iconiques grâce au « pouvoir isolant » du téléobjectif d’autre part. À l’ambiance, vient s’ajouter le jeu de lumière, c’est ce dernier point que j’ai choisi pour aborder la dimension artistique, je vais y revenir.
Enfin, en quittant les lieux, je fais toujours une halte à distance, souvent de l’autre côté de la Loire quand elle est là… Bref, assez loin pour prendre quelques vues incluant le château dans son environnement.
Chaque site étant vaste, si je ne veux pas dépenser tous mes bénéfices en bains de pieds, je dois optimiser mes allées et venues. C’est pour cette raison que j’ai choisi de travailler selon ce mode opératoire. Pour info, j’ai parcouru entre 5 et 10 km à pied sur chacun des 20 châteaux visités.
L’angle artistique
Cet élément pourrait paraitre secondaire au vue du brief : une série photographique documentaire sur les châteaux de la Loire. Le but étant de montrer les sites touristique, non leur activité, pas plus que le travail des professionnels sur place. Ici donc, pas de portrait, pas de reportage métier, mais des vues de bâtiments, des paysages, des détails architecturaux, etc. Tomber dans la touche artistique trop prononcée viendrait polluer la bonne perception des lieux par les observateurs de la série. À l’inverse ne pas apporter une touche artistique risquerait de produire une série manquant d’unité, de cohérence. Mais que choisir comme angle d’attaque ?
Pour traiter ce sujet je choisis trois axes : la lumière, la géométrie de l’architecture et les formes organiques en détail.
Pour la lumière, je décide de travailler quand elle est basse et chaude. Je réalise donc mes prises de vue tôt le matin et/ou en fin de journée (le reportage étant shooté en été). Comme ça, je ne fais pas mes 7 ou 8 km à pied avec 15 kilos de matériel sous une chaleur de plomb, j’évite d’avoir trop d’humains dans le cadre (tout en ne l’interdisant pas) et surtout, j’obtiens de beaux volumes et des ciels spectaculaires (tandis qu’en milieu de journée, la lumière se fait plus blafarde et écrasante car trop puissante, haute et verticale).
Concernant l’architecture, je m’intéresse aux formes géométriques, souvent utilisées de façon décorative - un trait particulier de la Renaissance, qui tranche avec les aspects plus utilitaires de l’architecture médiévale défensive - tout en restant inspiré des architectures classiques, romanes ou gothiques. À l’image, je m’efforce de mettre ces formes en avant dans des plans serrés, cadrés au cordeau.
Enfin, j’utilise les plus forte focales et la grande ouverture (/ le flou d’arrière plan) pour isoler les détails plus organiques (sculptures d’humains, d’animaux, motifs floraux ou végétaux…).
Réaliser un reportage au long court, tel que celui-ci, demande beaucoup de temps
C'est donc un travail qui a un coût. Lisez cet article pour savoir comment je chiffre un reportage photo. Comptez 6 à 8 heures de prise de vue par site - sachant que je ne peux pas faire grand-chose entre 10:00 du matin et 16:30/17:00. Et même si le reportage est réalisé en été, la météo n’est pas toujours de la partie. Hors, pour pouvoir exploiter la lumière comme élément artistique, je dois bannir les journées trop nuageuses ou pluvieuses. En tout, il me faudra un peu plus de deux mois pour shooter l’ensemble du reportage, devant souvent décaler certains passages ou, au contraire, décider d’y aller au dernier moment - le tout en prévenant systématiquement les services communication des châteaux, tout en tenant mon client informé… Bref, plus le reportage est long et plus il demande de préparation et de suivi. Rien de rédhibitoire, bien au contraire, c’est avec de la rigueur qu’on livre à l’heure !.. Et pourtant, l’un des points importants dans ce type de travail, et non des moindres, c’est l’improvisation.
Laisser la porte ouverte à l’improvisation va à l’encontre de tout ce que je m’efforce de faire dans un tel projet. Et pourtant c’est essentiel !
Les plus grands navigateurs de tous les temps vous le diront tous : rien ne se passe jamais comme prévu. Et même si « j’adore qu’un plan se déroule sans accroc » (ce n’est pas moi qui le dit, hein, c’est Hannibal Smith, de l’Agence tous risques), je dois bien avouer que vouloir rester à tout prix en contrôle de tous les paramètres va immanquablement aller à l’encontre de ce qui fait le véritable intérêt de toute aventure : l’imprévu. C’est donc avec l’esprit ouvert et les yeux pleins de curiosité que j’aborde chaque château, chaque recoin des jardins… C’est essentiel et c’est comme ça que sortent bien souvent quelques photos parmi les plus iconiques de la série. Toutefois, un mode opératoire solide et une bonne dose de rigueur sont justement les éléments qui permettent d'avoir l'esprit détendu, de façon à le laisser être porté par le souffle des lieux.
Le post-traitement
Enfin, une fois les photos faites, il faut les trier et les traiter. C’est l’étape Lightroom et DXO PhotoLab. Généralement, il me faut autant de temps derrière l’écran que sur le terrain pour boucler un sujet. Ce n’est donc pas parce que j’ai rangé mes valeureux Nikon que je peux m’enfoncer dans le canapé et croiser les jambes sur la table basse pour me plonger indéfiniment dans la biographie de Léonard de Vinci (oui, parfois, je craque et je rapporte quelque chose de la boutique).
L’étape du post-traitement est cruciale, elle a autant d’importance que toute l’attention portée à la prise de vue - et elle participe tout autant à cette fameuse unité de la série, à laquelle je tiens tellement. Au programme : tri des photos, redressement et recadrage, harmonisation des couleurs et du contraste. En ce qui concerne la lumière, je conserve autant que possible l’ambiance naturelle de chaque photo… C’est que dans l’unité, il doit quand même régner un certain niveau de différence, chaque château ayant sa propre personnalité. Là encore, je dois jouer à l’équilibriste.
Réfléchir au sujet culturellement, artistiquement et techniquement
En conclusion, je mentirais si je disais que ce reportage était « facile ». Sous son apparente simplicité, se cachent beaucoup d’organisation, de réflexion pré-shooting, de concentration à la prise de vue et de travail en post-traitement. Paradoxalement, toutes ces précautions servent à rendre la série la plus homogène possible tout en respectant les différences qu’il y a entre chaque château. Est-ce que ce fut un casse-tête ? Oui. Est-ce que ce fut prise de tête ? Non, bien au contraire ! C’est justement pour ce type de travail que j’aime tellement être photographe pro. Ce fut un reportage photo complexe (j’ai bien dit complexe, pas compliqué), qui demandait de réfléchir au sujet autant culturellement, qu’artistiquement et que techniquement. Bref, ce fut passionnant.
Si ma démarche vous intéresse, si vous avez un projet, un besoin en photographie, n'hésitez pas à me contacter pour échanger et/ou me demander un devis.
Enfin, vous pouvez feuilleter mon portfolio et consulter mes tarifs.
Texte et photographies : Thierry VINCENT
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