Les suédois dans l’Espace
Dans les années soixante on était beaucoup moins moins tendu qu’aujourd’hui à la NASA. La preuve, quelques années avant de devenir le cinquième américain dans l’Espace, Walter Schirra s’achetait un bel Hasselblad 500C chez le marchand du coin, à Houston - Texas. Walter est immédiatement tombé amoureux de son nouveau jouet, tant et si bien que lorsqu’il fut question pour lui de s’en aller faire un tour en dehors des limites de l’atmosphère terrestre, il demanda à la NASA de bricoler son appareil photo afin qu’il puisse l’emporter avec lui. C’est ainsi que le 3 octobre 1962, le Hasselblad 500C devenait l’un des premiers appareils photo dans l’Espace (tandis que la première caméra, une Konvas, fut emmenée un an plus tôt par le Russe Titov, à bord de Vostok 2). Ce fut le début d’une longue collaboration entre l’agence spatiale américaine et la très chic marque suédoise. Vraiment, c’était cool les années soixante.
Mais c’est d’abord à John Glenn qu’il faut rendre honneur. Quelques mois avant le vol de Schirra, ce bon vieux John eut la bonne idée d’emmener son Minolta Hi-Matic personnel, quelque peu bricolé à bord de sa mission ‘Friendship 7’. Ses photos non officielles firent rapidement le tour des média de l’époque et ouvrirent les yeux de la NASA sur le double potentiel de faire des photos dans l’espace : pour la science et la communication (et donc les $$$).
Afin d’obtenir son ticket d’embarquement, le 500C de Walter dû suivre un régime drastique. Au programme : perte de poids. Les ingénieurs de la NASA l’amputèrent donc de son miroir, son verre de visée, et globalement tout les éléments n’ayant d’autre fonction qu’esthétique, tel l’iconique revêtement en similicuir noir, signature de la marque, pour la simple et bonne - quoi que curieuse - raison que ce dernier pouvait dégager des vapeurs nocives dans une atmosphère d’oxygène à basse pression… Il fallait quelques bonnes notions de photo à Walter pour se servir d’un appareil ainsi dépourvu de système de visée. À lui les joies de l’hyperfocale. Et comme les premières fois sont rarement les meilleures… Était-il nerveux à l’idée de faire un tour dans la galaxie ? Était-il trop occupé à s’occuper des choses dont il faut s’occuper quand on est un être humain dans l’Espace ? Toujours est-il que ce premier voyage de Walter Schirra ne fut pas un grand succès, photographiquement parlant, je veux dire. Pas de souci côté mise au point, mais peu de photos furent correctement exposées. Enfin, les quelques réussies confirmèrent un point important : le Blad était bel et bien l’objet de la situation, principalement grâce à sa mécanique simple et robuste, son architecture modulaire qui le rendait facile à modifier et aussi pour sa capacité à délivrer des images d’une superbe qualité. Il n’en fallait pas plus pour se rendre compte de l’importance cruciale d’embraquer un système photographique fiable à bord des vols spatiaux.
Amis collectionneurs, armez vous de patience (et d’un ami banquier suisse) si vous souhaitez acquérir l’un des rares boîtiers ayant été envoyés dans l’Espace ou sur la Lune… Ces derniers sont d’ailleurs un genre de Graal, presque une légende urbaine du matos photo, étant donné que la plupart d’entre eux ne sont pas revenus sur Terre. Ils sont tout simplement restés sur le sol lunaire afin de faire gagner du poids aux équipages sur la route du retour. Au moment où je tape ces lignes, il y a 12 Hasselblad sur la Lune.
Depuis ces premiers essais, Hasselblad est donc resté un équipementier de choix pour l’agence spatiale américaine. Des boîtiers Hasselblad furent systématiquement embarqué sur les missions Gemini, puis Apollo. Au fur et à mesure des vols et grâce au travail conjoint entre les ingénieurs américains et suédois, les Blad furent de mieux en mieux adapté à ce nouvel environnement. Recevant une teinte noire anti-reflet pour aller se balader dans le vide sidéral en toute discrétion, ou gris réfléchissant pour éviter la surchauffe lorsque que l’appareil arpentait la face ensoleillée de la Lune. Dans un souci de sécurité, les fluides servant à lubrifier les entrailles des appareils furent remplacés par des huiles ininflammables, le moindre petit accident pouvant se révéler dramatique dans une cabine riche en oxygène.
Mais il n’y a pas que les appareils qui reçurent une attention particulière. Des pellicules spéciales, plus de deux fois moins épaisses que des pellicules normales, furent également conçues afin de permettre aux astronautes de prendre un maximum de clichés. Un film noir & blanc permettait alors 200 vues, contre 160 pour un film couleur. L’appareil suédois était aussi très pratique dans l’espace parce que son système modulaire permettait de le recharger plus facilement. La société Cine Mechanics plancha donc sur un système de magasin spécifiquement adapté aux nouveaux films et facile à manipuler avec des gros gants. Beaucoup de photos furent prises dans un but purement scientifique. En ce sens, les astronautes n’étaient pas libres de photographier à l’inspiration. Ils devaient exécuter leurs prises de vues selon un protocole établi de longue date et inlassablement répété dans les centres d’entrainement. En général, le matériel photo qu’il allaient devoir utiliser en mission leur était livré six mois à l’avance et faisait l’objet de formations très sérieuses. Ceci dit, ils avaient tout de même carte blanche pour certaines photos « d’ambiance »… Ces dernières ne représentent qu’un petite partie de la banque d’images collectée par les missions spatiales de la grande époque mais ce sont celles-ci qui sont devenues les plus célèbres.
Malgré toutes les précautions prises à la conception et tous les entrainements, beaucoup de photos furent ratées. C’est aisément compréhensible, un Hasselblad, aussi qualitatif soit-il, n’a jamais été un engin facile à manier, surtout en apesanteur et vêtu d’une combinaison spatiale… D’ailleurs, la NASA ne tarda pas à confier également des boîtiers reflex conventionnels aux astronautes. C’est ainsi qu’une autre marque emblématique fit ses premiers pas dans l’Espace : Nikon. Mais ça, c’est une autre histoire. Et pour ce qui est des photos qui ne furent pas ratées… Elles se contentèrent, en toute simplicité, d’écrire l’Histoire. Nombre de photos rapportées par les équipages de la NASA contribuèrent grandement à forger la légende des premiers hommes dans l’Espace. La série de Nieil Armstrong et Buzz Aldrin débarquant sur la Lune est bien sûr la plus célèbre d’entre toutes. Le format carré et les fameuses petites croix parcourant l’image, dont le rôle est de permettre l’évaluation des dimensions et distances, sont une vraie signature du genre. Je ne doute pas un instant de l’impact de ces photos sur un nombre faramineux d’observateur, et du fait qu’elles aient été un vrai déclencheur de l’une des plus importantes prises de conscience collective du XXè siècle : la Terre est magnifique, mais elle n’est pas toute puissante, au contraire, elle est petite, fragile et isolée. Il faut donc en prendre soin - et accessoirement, apprendre à cohabiter à sa surface (mais sur ce dernier point, il va peut-être falloir un peu plus de travail et j’ai bien peur que l’Art photographique ne suffise pas à régler la question).
Texte : Th/V
Images : NASA et Hasselblad
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Les Spaceblads légendaires, sur le site de la marque :
http://www.hasselblad.com/inspiration/our-story/hasselblad-in-space
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